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A. CROLL

« C’EST CO-CO-CO-COHERENT DE DIRE … ». SEMIOTIQUE DU BEGAIEMENT, A L’INTERFACE DES PATHOLOGIES DU LANGAGE, DE LA LINGUISTIQUE ET DE LA RHETORIQUE

A. CROLL
Université de Nantes, LLING : EA : 3827
anne.croll@univ-nantes.fr, croll.anne@neuf.fr

Mots-clés : bégaiement, corps, éprouvé, rhétorique, sémiotique.

Le bégaiement, trouble articulatoire de la parole, est décrit en pathologie du langage, précisément en orthophonie, à partir de connaissances de type médicales, linguistiques et psychanalytiques. Notre propos est de montrer que la parole, dans son émission, le « corps parlant », peut également faire l’objet d’une description dans le cadre de la sémiotique des passions élaborée par A.Hénault et J. Fontanille. Le « corps sémiotisant » manifeste, dans une impossibilité à dire, le surgissement d’un éprouvé non rhétorisé, une tension musculaire du corps associée à un blocage articulatoire rendant impossible l’émission, lui ôtant fluidité ou sectionnant le mot « visé », ce qui conduit à la production de syllabes répétées, pour aboutir ou non, à la production plus ou moins altérée du mot propre. C’est le blocage de la fonction linguistique par la tensivité, la quantité de l’énergie articulatoire. L’irruption du corps sur la strate linguistique se manifeste par une destruction physique du mot. Des catégories sémantiques opposées, tension/laxité, continuité/section, exhibition/dissimulation, durée/suspens, permettent de rendre compte de cette phénoménologie du bégaiement.
L’éprouvé subjectif du bègue se définit comme une synthèse contradictoire : la peur de pouvoir dire / la peur de ne pas pouvoir dire. Cet état paradoxal est lié à une représentation de la substance de l’expression, dans sa manifestation graphique ou acoustique, comme signifiant impossible à dire, voire comme objet dangereux. L’investissement pathémique du sujet sur le SA difficile conduit à court-circuiter cette fois-ci la fonction sémiotique. Le sujet ne bégayant qu’en contexte interlocutif, devant auditoire, et en parole orale spontanée, nous chercherons à définir cette instance menaçante posée imaginairement par le sujet et par qui il se sent regardé. Dans le cadre d’une interface rhétorique-sémiotique, on évoquera des figures qui ne sont plus des signes d’une diction difficile (actio), mais d’une stratégie d’ellipse : ainsi la réticence, l’aposiopèse se situent dans le champ du mi-dire (hémiphasie), entre « le tout dire » (la logorrhée, qui est le trop plein, l’invasion) et « le ne rien dire » (le mutisme, qui est le trou, l’absence). Stratégie ou défaillance ? Le sujet est trahi par ses émotions qu’il veut cacher, trahi par son corps défaillant qui, par son incapacité à dire, révèle son investissement intense sur le mot qu’il voulait éviter. Déplaçant « volontairement » le regard de l’interlocuteur du signe linguistique à visée référentielle, au signifiant comme substance, le sujet exhibe le caractère corporel de l’acte locutoire. C’est le paradoxe du bégayeur. Quant au destinataire du message bégayé, nous montrerons que sa place à lui aussi est menacée par le mot suspendu.

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